viernes, 18 de septiembre de 2015

Bachibac 1º Unité 1 Le Bonheur

                                                     



         

 Unité 1
Le Bonheur

                   















1- Qu’est-ce que le bonheur? Peut on définir le bonheur?
    Le bonheur, est-il dans le plaisir ou dans la sagesse?
    Le bonheur comme souverain bien et accomplissement de la nature.
    Toute définition du bonheur est négative.






Cʼest dʼeux très certainement, Socrate. Comment en effet un homme pourrait‑il être heureux, sʼil est esclave de quelquʼun. Mais voici ce qui est beau et juste suivant la nature, je te le dis en toute franchise, cʼest que, pour bien vivre, il faut laisser prendre à ses passions tout lʼaccroissement possible, au lieu de les réprimer, et, quand elles ont atteint toute leur force, être capable de leur donner satisfaction par son courage et son intelligence et de remplir tous ses désirs à mesure quʼils éclosent. Mais cela nʼest pas, je suppose, à la portée du vulgaire. De là vient quʼil décrie les gens qui en sont capables, parce quʼil a honte de lui-même et veut cacher sa propre impuissance. Il dit que lʼintempérance est une chose laide, essayant par là dʼasservir ceux qui sont mieux doués par la nature, et, ne pouvant lui-même fournir à ses passions de quoi les contenter, il fait lʼéloge de la tempérance et de la justice à cause de sa propre lâcheté. Car pour ceux qui ont eu
la chance de naître fils de roi, ou que la nature a faits capables de conquérir un commandement, une tyrannie, une souveraineté, peut‑il y avoir véritablement quelque chose de plus honteux et de plus funeste que la tempérance? Tandis quʼil leur est loisible de jouir des biens de la vie sans que personne les en empêche, ils sʼimposeraient eux‑mêmes pour maîtres la loi, les propos, les censures de la foule ! Et comment ne seraient‑ils pas malheureux du fait de cette prétendue beauté de la justice et de la tempérance, puisquʼils ne pourraient rien donner de plus à leurs
amis quʼà leurs ennemis, et cela, quand ils sont les maîtres de leur
propre cité ? La vérité, que tu prétends chercher, Socrate, la voici : le luxe,
lʼincontinence et la liberté, quand ils sont soutenus par la force constituent la vertu et le bonheur; le reste, toutes ces belles idées, ces conventions contraires à la nature, ne sont que niaiseries et néant.”
              
                                                                                                           Platon, Gorgias  491e



SOCRATE  
Eh bien, laisse‑moi, te proposer une autre image sortie de la même école que la précédente. Considère si tu ne pourrais pas assimiler chacune de
ces deux vies, la tempérante et lʼincontinente, au cas de deux hommes, dont
chacun posséderait de nombreux tonneaux, lʼun des tonneaux en bon état et remplis, celui-ci de vin, celui-là de miel, un troisième de lait et beaucoup dʼautres remplis dʼautres liqueurs, toutes rares et coûteuses et acquises au prix de mille peines et de difficultés ; mais une fois ses tonneaux remplis, notre homme nʼy verserait plus rien, ne sʼen inquiéterait plus et serait tranquille à cet égard. Lʼautre aurait, comme le premier, des liqueurs quʼil pourrait se procurer, quoique avec peine, mais nʼayant que des tonneaux percés et fêlés, il serait forcé de les remplir jour et nuit sans relâche, sous peine des plus grands ennuis. Si tu admets que les deux vies sont pareilles au cas de ces deux hommes, est‑ce que tu soutiendras que la vie de lʼhomme déréglé est plus heureuse que celle de lʼhomme réglé ? Mon
allégorie tʼamène‑t‑elle à reconnaître que la vie réglée vaut mieux que la vie
déréglée, ou nʼes‑tu pas convaincu ?
CALLICLÈS
Je ne le suis pas, Socrate. Lʼhomme aux tonneaux pleins nʼa plus aucun
plaisir, et cʼest cela que jʼappelais tout à lʼheure vivre à la façon dʼune pierre,
puisque, quand il les a remplis, il nʼa plus ni plaisir ni peine ; mais ce qui fait
lʼagrément de la vie, cʼest dʼy verser le plus quʼon peut.
SOCRATE
Mais si lʼon y verse beaucoup, nʼest‑il pas nécessaire quʼil sʼen écoule beaucoup aussi et quʼil y ait de larges trous pour les écoulements ?
CALLICLÈS
Bien sûr.
SOCRATE
Alors, cʼest la vie dʼun pluvier que tu vantes, non celle dʼun mort ni dʼune
pierre. Mais dis‑moi : ce que tu veux dire, cʼest quʼil faut avoir faim, et, quand on a faim, manger ?
CALLICLÈS
Oui.
SOCRATE
Et avoir soif, et, quand on a soif, se désaltérer ?
CALLICLÈS
Oui, et quʼil faut avoir tous les autres désirs, pouvoir les satisfaire, et y trouver du plaisir pour vivre heureux. 
                                                                                                   Platon, Gorgias, 493d-494b





Il faut se rendre compte que parmi nos désirs les uns sont naturels, les autres vains, et que parmi les premiers il y en a qui sont nécessaires et d’autres qui sont seulement naturels. Parmi les nécessaires, il y en a qui le sont pour le bonheur, d’autres pour la tranquillité du corps, d’autres enfin pour la vie même. Une théorie non erronée de ces désirs sait en effet rapporter toute préférence et toute aversion à la santé du corps et à la tranquillité de l’âme puisque c’est là la perfection même de la vie heureuse. Car tous nos actes visent à écarter de nous la souffrance et la peur. Lorsqu’une fois nous y sommes parvenus, la tempête de l’âme s’apaise, l’être vivant n’ayant plus besoin de s’acheminer vers quelque chose qui lui manque, ni de chercher autre chose pour parfaire le bien-être de l’âme et celui du corps. C’est alors en effet que nous éprouvons le besoin du plaisir quand, par suite de son absence, nous éprouvons de la douleur; mais quand nous ne souffrons pas, nous n’éprouvons plus le besoin du plaisir.
Et c’est pourquoi nous disons que le plaisir est le commencement et la fin de la vie bienheureuse. C’est lui en effet que nous avons reconnu comme le bien principal et conforme à notre nature, c’est de lui que nous partons pour déterminer ce qu’il faut choisir et ce qu’il faut éviter, et c’est à lui que nous avons finalement recours lorsque nous nous servons de la sensation comme d’une règle pour apprécier tout bien qui s’offre. Or, précisément parce que le plaisir est notre bien principal et inné, nous ne cherchons pas tout le plaisir; il y a des cas où nous passons par-dessus beaucoup de plaisirs s’il en résulte pour nous de l’ennui. Et nous jugeons beaucoup de douleurs préférables aux plaisirs lorsque, des souffrances que nous avons endurées pendant longtemps, il résulte pour nous un plaisir plus élevé. Tout plaisir ne doit pas être recherché; pareillement, toute douleur est un mal, mais toute douleur ne doit pas être évitée à tout prix. En tout cas, il convient de décider de tout cela en comparant et en examinant attentivement ce qui est utile et ce qui est nuisible, car nous en usons parfois avec le bien comme s’il était le mal, et avec le mal comme s’il était le bien.
                                                                                                        Epicure, Lettre à Menecée




Pourquoi allier des objets dissemblables, disons plus qui se repoussent? La vertu est quelque chose de grand, de sublime, de souverain, d'invincible, d'infatigable ; la volupté est chose basse, servile, impuissante, caduque, qui a son poste et son domicile aux lupanars et aux tavernes. La vertu, tu la trouveras dans le temple, au forum, au sénat, debout sur les remparts, le corps poudreux, le teint hâlé, les mains calleuses ; la volupté le plus souvent va cherchant le mystère et appelle les ténèbres; elle rôde autour des bains, des étuves, des lieux qui redoutent l'édile, efféminée, sans vigueur, ruisselante de vins et de parfums, pâle ou fardée et souillée des drogues de la toilette. Le souverain bien est impérissable ; il ne sort pas du cœur où il règne, il n'a ni satiété ni repentir. Car une conscience droite ne dévie jamais, n'est jamais odieuse à elle-même, n'a rien changé à ses principes, parce qu'elle a toujours suivi les meilleurs. La volupté au contraire, c'est au fort même de ses délices qu'elle s'éteint. Elle trouve en l'homme peu de place, aussi l'emplit-elle bien vite ; puis vient le dégoût, et après les premiers élans «lie s'affaisse. Y aurait-il jamais fixité dans une chose dont l'essence est le mouvement? Aussi ne peut-elle même avoir la moindre réalité, elle qui vient et passe comme l'éclair,qui s'évanouira dans l'usage d'elle-même. Car elle arrive là pour cesser ; dès qu'elle commence, elle vise à n'être plus.
                                                                                             Sénèque. De la vie heureuse 7





“Mais sans doute l’identification du bonheur et du Souverain Bien apparaît-elle comme une chose sur laquelle tout le monde est d’accord’ ; ce qu’on désire encore, c’est que nous disions plus clairement quelle est la nature du bonheur. Peut-être pourrait-on y arriver si on déterminait la fonction de l’homme.
De même, en effet, que dans le cas d’un joueur de flûte, d’un statuaire, ou d’un artiste quelconque, et en général pour tous ceux qui ont une fonction ou une activité déterminée, c’est dans la fonction que réside, selon l’opinion courante, le bien, le " réussi ", on peut penser qu’il en est ainsi pour l’homme s’il est vrai qu’il y ait une certaine fonction spéciale à l’homme. Serait-il possible qu’un charpentier ou un cordonnier aient une fonction et une activité à exercer, mais que l’homme n’en ait aucune et que la nature l’ait dispensé de toute oeuvre à accomplir ? (...) Mais alors en quoi peut-elle consister ? Le simple fait de vivre est, de toute évidence, une chose que l’homme partage en commun même avec les végétaux ; or ce que nous recherchons, c’est ce qui est propre à l’homme. Nous devons donc laisser de côté la vie de nutrition et la vie de croissance. Viendrait ensuite la vie sensitive mais celle- là encore apparaît commune avec le cheval, le boeuf et tous les animaux. Reste donc une certaine vie pratique de la partie rationnelle de l’âme, partie qui peut être envisagée, d’une part, au sens où elle est soumise à la raison, et, d’autre part, au sens où elle possède la raison et l’exercice de la pensée. (...) s’il en est ainsi ; si nous posons que la fonction de l’homme consiste dans un certain genre de vie, c’est-à-dire dans une activité de l’âme et dans des actions accompagnées de raison ; si la fonction d’un homme vertueux est d’accomplir cette tâche, et de l’accomplir bien et avec succès, chaque chose au surplus étant bien accomplie quand elle l’est selon l’excellence qui lui est propre : — dans ces conditions, c’est donc que le bien pour l’homme consiste dans une activité de l’âme en accord avec la vertu et, au cas de pluralité de vertus, en accord avec la plus excellente et la plus parfaite d’entre elles.”      
                                                                                          Aristote. Éthique à Nicomaque. Ch,6


“La satisfaction, le bonheur, comme lʼappellent les hommes, nʼest au propre et dans son essence rien que de négatif ; en elle, rien de positif. II nʼy a pas de satisfaction qui dʼelle-même et comme de son propre mouvement vienne à nous : il faut quʼelle soit la satisfaction dʼun désir. Le désir, en effet, la privation, est la condition préliminaire de toute jouissance. Or avec la  satisfaction cesse le désir, et par conséquent la jouissance aussi. Donc la satisfaction, le contentement, ne sauraient être quʼune délivrance à lʼégard dʼune douleur, dʼun besoin  sous ce nom, il ne faut pas entendre en effet seulement la souffrance effective, visible, mais toute espèce de désir qui, par son importunité, trouble notre repos, et même cet ennui, qui tue, qui nous fait de lʼexistence un fardeau. (...)
Tout bonheur est négatif, sans rien de positif ; nulle satisfaction, nul
contentement, par suite, ne peut être de durée : au fond ils ne sont que la cessation dʼune douleur ou dʼune privation, et, pour remplacer ces dernières, ce qui viendra sera infailliblement ou une peine nouvelle, ou bien quelque langueur, une attente sans objet, lʼennui. (...)
Ainsi, on le voit assez par tous ces éclaircissements, nulle satisfaction possible ne peut durer, il nʼest point de bonheur positif : la raison de cela, on la comprend par ce qui a été dit à la fin du second livre : la volonté,— la vie humaine, comme tout phénomène, nʼen est quʼune manifestation, — se réduit à un effort sans but, sans fin.”
             
                                        Arthur Schopenhauer, Le Monde comme volonté et comme réprésentation








2- Comment atteindre le bonheur? 
    Le bonheur, est-il accessible?
    Le bonheur dans la serenité et la maitrise de soi.
    Le bonheur dans l’activité et le divertissement.
    









1. Parmi les choses qui existent, certaines dépendent de nous, d'autres non. De nous, dépendent la pensée, l'impulsion, le désir, l'aversion, bref, tout ce en quoi c'est nous qui agissons ; ne dépendent pas de nous le corps, l'argent, la réputation, les charges publiques, tout ce en quoi ce n'est pas nous qui agissons. 
2. Ce qui dépend de nous est libre naturellement, ne connaît ni obstacles ni entraves ; ce qui n'en dépend pas est faible, esclave, exposé aux obstacles et nous est étranger. 
3. Donc, rappelle-toi que si tu tiens pour libre ce qui est naturellement esclave et pour un bien propre ce qui t'est étranger, tu vivras contrarié, chagriné, tourmenté ; tu en voudras aux hommes comme aux dieux ; mais si tu ne juges tien que ce qui l'est vraiment - et tout le reste étranger -, jamais personne ne saura te contraindre ni te barrer la route ; tu ne t'en prendras à personne, n'accuseras personne, ne feras jamais rien contre ton gré, personne ne pourra te faire de mal et tu n'auras pas d'ennemi puisqu'on ne t'obligera jamais à rien qui pour toi soit mauvais. 
4. A toi donc de rechercher des biens si grands, en gardant à l'esprit que, une fois lancé, il ne faut pas se disperser en oeuvrant chichement et dans toutes les directions, mais te donner tout entier aux objectifs choisis et remettre le reste à plus tard. Mais si, en même temps, tu vises le pouvoir et l'argent, tu risques d'échouer pour t'être attaché à d'autres buts, alors que seul le premier peut assurer liberté et bonheur. 
5. Donc, dès qu'une image viendra te troubler l'esprit, pense à te dire : " Tu n'es qu'image, et non la réalité dont tu as l'apparence. " Puis, examine-la et soumets-la à l'épreuve des lois qui règlent ta vie : avant tout, vois si cette réalité dépend de nous ou n'en dépend pas ; et si elle ne dépend pas de nous, sois prêt à dire : " Cela ne me regarde pas. " 
II 1. Souviens-toi que le désir est tendu vers son objet tandis que le but de l'aversion, c'est de ne pas tomber dans ce qu'on redoute. Si l'on est infortuné en manquant l'objet de son désir, on est malheureux en tombant dans ce qu'on voulait éviter. Donc, si tu ne cherches à fuir que ce qui est dépendant de toi et contraire à la nature, il ne t'arrivera rien que tu aies voulu fuir. Mais si tu cherches à éviter la maladie, la mort ou la misère, tu seras malheureux. 2. Supprime donc en toi toute aversion pour ce qui ne dépend pas de nous et, cette aversion, reporte-la sur ce qui dépend de nous et n'est pas en accord avec la nature. Quant au désir, pour le moment, supprime-le complètement. Car si tu désires une chose qui ne dépend pas de nous, tu ne pourras qu'échouer, sans compter que tu te mettras dans l'impossibilité d'atteindre ce qui est à notre portée et qu'il est plus sage de désirer. Borne-toi à suivre tes impulsions, tes répulsions, mais fais-le avec légèreté, de façon non systématique et sans effort excessif.
                                                                                              Épictète. Manuel



“On se cherche des retraites à la campagne, sur les plages, dans les montagnes . Et toi-même, tu as coutume de désirer ardemment ces lieux d'isolement . Mais tout cela est de la plus vulgaire opinion, puisque tu peux, à l'heure que tu veux, te retirer en toi-même . Nulle part, en effet, l'homme ne trouve de plus tranquille et de plus calme retraite que dans son âme, surtout s'il possède, en son for intérieur, ces notions sur lesquelles il suffit de se pencher pour acquérir aussitôt une quiétude absolue, et par quiétude, je n'entends rien autre qu'un ordre parfait .
Accorde-toi donc sans cesse cette retraite, et renouvelle toi. Mais qu'il s'y trouve aussi de ces maximes concises et fondamentales qui, dès que tu les auras rencontrées, suffiront à te renfermer en toute son âme et à te renvoyer, exempt d'amertume, aux occupations vers lesquelles tu retournes . Contre quoi, en effet, as-tu de l'amertume? Contre la méchanceté des hommes? Reporte-toi à ce jugement, que les êtres raisonnables sont nés les uns pour
les autres, que se supporter est une partie de la justice, que les hommes pèchent involontairement, que tous ceux qui jusqu'ici se sont brouillés, soupçonnés, haïs, percés de coups de lances, sont allongés, réduits en cendres  Calme-toi donc enfin .”
                                                                                 Marc-Aurèle. Pensées pour moi-même



“Faire et non pas subir, tel est le fond de l'agréable. Mais parce que les sucreries donnent un petit plaisir sans qu'on ait autre chose à faire qu'à les laisser fondre, beaucoup de gens voudraient goûter le bonheur de la même manière, et sont bien trompés. On reçoit peu de plaisir de la musique si l'on se borne à l'entendre et si on ne la chante point du tout, ce qui faisait dire à un homme ingénieux qu'il goûtait la musique par la gorge, et non point par l'oreille. Même le plaisir qui vient des beaux dessins est un plaisir de repos, et qui n'occuperait pas assez, si l'on ne barbouillait soi-même, ou si l'on ne se faisait une collection ; ce n'est plus seulement juger, c'est rechercher et conquérir. Les hommes vont au spectacle et s'y ennuient plus qu'ils ne veulent l'avouer ; il faudrait inventer, ou tout au moins jouer, ce qui est encore inventer. (...). Ne demandez pas à celui qui ne sait point jouer s'il aime le jeu. La politique n'ennuie point dès que l'on sait le jeu ; mais il faut l'apprendre. Ainsi en toutes choses ; il faut apprendre à être heureux.
On dit que le bonheur nous fuit toujours. Cela est vrai du bonheur reçu, parce qu'il n'y a point de bonheur reçu. Mais le bonheur que l'on se fait ne trompe point. C'est apprendre, et l'on apprend toujours. Plus on sait, et plus on est capable d'apprendre. D'où le plaisir d'être latiniste, qui n'a point de fin, mais qui plutôt s'augmente par le progrès. Le plaisir d'être musicien est de même. Et Aristote dit cette chose étonnante, que le vrai musicien est celui qui se plaît à la musique, et le vrai politique celui qui se plaît à la politique. « Les plaisirs, dit-il, sont les signes des puissances. » Cette parole retentit par la perfection des termes qui nous emportent hors de la doctrine ; et si l'on veut comprendre cet étonnant génie, tant de fois et si vainement renié, c'est ici qu'il faut regarder. Le signe du progrès véritable en toute action est le plaisir qu'on y sait prendre. D'où l'on voit que le travail est la seule chose délicieuse, et qui suffit. J'entends travail libre, effet de puissance à la fois et source de puis- sance. Encore une fois, non point subir, mais agir.”

                                                                  Alain (Émile Chartier). Propos sur le bonheur
                  




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133-168 Divertissement.
Les hommes n'ayant pu guérir la mort, la misère, l'ignorance, ils se sont avisés, pour se rendre heureux, de n'y point penser.
136-139 Divertissement.
(L'unique bien des hommes consiste donc à être divertis de penser à leur condition ou par une occupation qui les en détourne, ou par quelque passion agréable et nouvelle qui les occupe, ou par le jeu, la chasse, quelque spectacle attachant, et enfin par ce qu'on appelle divertissement.)
De là vient que le jeu et la conversation des femmes, la guerre, les grands emplois sont si recherchés. Ce n'est pas qu'il y ait en effet du bonheur, ni qu'on s'imagine que la vraie béatitude soit d'avoir l'argent qu'on peut gagner au jeu, ou dans le lièvre qu'on court; on n'en voudrait pas s'il était offert. Ce n'est pas cet usage mol et paisible et qui nous laisse penser à notre malheureuse condition qu'on recherche, ni les dangers de la guerre, ni
la peine des emplois, mais c'est le tracas qui nous détourne d'y penser et nous divertit. Raison pourquoi on aime mieux la chasse que la prise. De là vient que les hommes aiment tant le bruit et le remuement. De là vient que la prison est un supplice si horrible, de là vient que le plaisir de la solitude est une chose incompréhensible. Et c'est enfin le plus grand sujet de félicité de la condition des rois, de ce qu'on essaie sans cesse à les divertir et à leur procurer toutes sortes de plaisirs. Le roi est environné de gens qui ne pensent qu'à divertir le roi et à l'empêcher de penser à lui. Car il est malheureux tout roi qu'il est s'il y pense.

                                                                                                 Blaise Pascal. Les Pensées

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