miércoles, 9 de marzo de 2016

Unité 3 1º Bachibac La Société


















LA SOCIÉTÉ
























         I- LA SOCIÉTÉ, EST-ELLE NATURELLE, OU EST-ELLE UNE            CONSTRUCTION  ARTIFICIELLE?



            1- ARISTOTELa cité est un fait de nature.

     C’est pourquoi toute cité est un fait de nature, s’il est vrai que les premières communautés le sont elles-mêmes. Car la cité est la fin de celles-ci, et la nature d’une chose est sa fin, puisque ce qu’est chaque chose une fois qu’elle a atteint son complet développement, nous disons que c’est là la nature de la chose, aussi bien pour un homme, un cheval, ou une famille. En outre, la cause finale, la fin d’une chose, est son bien le meilleur, et la pleine suffisance est à la fois une fin et une excellent. Ces considérations montrent donc que la cité est au nombre des réalités qui existent naturellement et que l’homme est par nature un animal politique
     Aristote, La politique.

2- KANT: L’insociable sociabilité des hommes

      Le moyen dont se sert la nature pour mener à son terme le développement de toutes ses dispositions est leur antagonisme dans la société, dans la mesure où cet antagonisme finira pourtant par être la cause d’un ordre réglé par des lois. J’entends ici par antagonisme l’insociable sociabilité des hommes, c’est-à-dire leur penchant à entrer en société, lié toutefois à une opposition générale qui menace sans cesse de dissoudre cette société. Une telle disposition est très manifeste dans la nature humaine. L’homme a une inclination à s’associer, parce que dans un tel état il se sent plus qu’homme, c’est-à-dire qu’il sent le développement de ses dispositions naturelles. Mais il a aussi un grand penchant à se séparer ( s’isoler ); en effet, il trouve en même temps en lui l’insociabilité qui fait qu’il ne veut tout régler qu’à sa guise et il s’attend à provoquer surtout une opposition des autres, sachant bien qu’il incline lui-même à s’opposer à eux. Or, c’est cette opposition qui éveille toutes les forces de l’homme, qui le porte à vaincre son penchant à la paresse, et fait que, poussé par l’appétit des honneurs, de la domination et de la possession, il se taille une place parmi ses compagnons qu’il ne peut souffrir mais dont il ne peut se passer. (...)
C’est la détresse qui force l’homme, si épris par ailleurs de liberté sans frein, à entrer dans cet état de contrainte ; et, à vrai dire, c’est la plus grande des détresses, à savoir celle que les hommes s’infligent eux-mêmes les uns aux autres, leurs inclinations ne leur permettant pas de subsister longtemps les uns à côté des autres à l’état de liberté sauvage. Seulement, dans cet enclos que constitue l’association civile, ces mêmes inclinations produisent précisément par la suite le meilleur effet. Ainsi, dans une forêt, les arbres, justement parce que chacun essaie de ravir à l’autre l’air et le soleil, se contraignent réciproquement à chercher l’un et l’autre au-dessus d’eux, et par suite ils poussent beaux et droits, tandis que ceux qui lancent à leur gré leurs branches en liberté et à l’écart des autres poussent rabougris, tordus et courbés. Toute culture et tout art dont se pare l’humanité, ainsi que l’ordre social le plus beau, sont des fruits de l’insociabilité, qui est forcée par elle-même de se discipliner et de développer ainsi complètement par cet artifice imposé, les germes de la nature (...)  Sans cela, toutes les excellentes dispositions naturelles qui sont en l’humanité sommeilleraient éternellement sans se développer ».
      Emmanuel Kant   Idée d’une histoire universelle d’un point de vue cosmopolitique (1784)


      3- HUME: L’insuffissance naturelle de l’homme comme cause de sociabilité.

     Il semble, à première vue, que de tous les animaux qui peuplent le globe terrestre, il n'y en ait pas un à l'égard duquel la nature ait usé de plus de cruauté qu'envers l'homme : elle l'a accablé de besoins et de nécessités innombrables et l'a doté de moyens insuffisants pour y subvenir. Chez les autres créatures, ces deux éléments se compensent l'un l'autre. Si nous regardons le lion en tant qu'animal carnivore et vorace, nous aurons tôt fait de découvrir qu'il est très nécessiteux, mais si nous tournons les yeux vers sa constitution et son tempérament, son agilité, son courage, ses armes et sa force, nous trouverons que ces avantages, sont proportionnés à ses besoins. Le mouton et le bœuf sont privés de tous ces avantages, mais leurs appétits sont modérés et leur nourriture est d'une prise facile. Il n'y a que chez l'homme que l'on peut observer à son plus haut degré d'achèvement cette conjonction de la faiblesse et du besoin. Non seulement la nourriture, nécessaire à sa subsistance, disparaît quand il la recherche et l'approche, ou, au mieux, requiert son labeur pour être produite, mais il faut qu'il possède vêtements et maison pour se défendre des dommages du climat : pourtant, à la considérer seulement en lui-même il n'est pourvu ni d'armes, ni de force, ni d'autres capacités naturelles qui puissent à quelque degré répondre à tant de besoins. Ce n'est que par la société qu'il est capable de suppléer à ses déficiences et de s'élever à une égalité avec les autres créatures, voire d'acquérir une supériorité sur elles par la société, toutes ses infirmités sont compensées et bien qu'en un tel état ses besoins se multiplient sans cesse, néanmoins ses capacités s'accroissent toujours plus et le laissent, à tous points de vue, plus satisfait et plus heureux qu'il ne pourrait jamais le devenir dans sa condition sauvage et solitaire.

     David Hume Traitée de la nature humaine 1740



     4- ROUSSEAU: Le Contrat d’association



     .Chapitre 1.6 Du pacte social
     Je suppose les hommes parvenus à ce point où les obstacles qui nuisent à leur conservation dans l’état de nature l’emportent, par leur résistance, sur les forces que chaque individu peut employer pour se maintenir dans cet état. Alors cet état primitif ne peut plus subsister ; et le genre humain périrait s’il ne changeait de manière d’être.
Or, comme les hommes ne peuvent engendrer de nouvelles forces, mais seulement unir et diriger celles qui existent, ils n’ont plus d’autre moyen, pour se conserver, que de former par agrégation une somme de forces qui puisse l’emporter sur la résistance, de les mettre en jeu par un seul mobile et de les faire agir de concert.
Cette somme de forces ne peut naître que du concours de plusieurs ; mais la force et la liberté de chaque homme étant les premiers instruments de sa conservation, comment les engagera-t-il sans se nuire et sans négliger les soins qu’il se doit ? Cette difficulté, ramenée à mon sujet, peut s’énoncer en ces termes :
« Trouver une forme d’association qui défende et protège de toute la force commune la personne et les biens de chaque associé, et par laquelle chacun, s’unissant à tous, n’obéisse pourtant qu’à lui-même, et reste aussi libre qu’auparavant. » Tel est le problème fondamental dont le Contrat social donne la solution. (...)
Les clauses de ce contrat se réduisent toutes à une seule, l’aliénation totale de chaque associé avec tous ses droits à toute la communauté : car, premièrement, chacun se donnant tout entier, la condition est égale pour tous ; et la condition étant égale pour tous, nul n’a intérêt de la rendre onéreuse aux autres (...)
Si donc on écarte du pacte social ce qui n’est pas de son essence, on trouvera qu’il se réduit aux termes suivants : « Chacun de nous met en commun sa personne et toute sa puissance sous la suprême direction de la volonté générale ; et nous recevons encore chaque membre comme partie indivisible du tout. »
A l’instant, au lieu de la personne particulière de chaque contractant, cet acte d’association produit un corps moral et collectif, composé d’autant de membres que l’assemblée a de voix, lequel reçoit de ce même acte son unité, son moi commun, sa vie et sa volonté. Cette personne publique, qui se forme ainsi par l’union de toutes les autres, prenait autrefois le nom de cité (a), et prend maintenant celui de république ou de corps politique, lequel est appelé par ses membres État quand il est passif, souverain quand il est actif, puissance en le comparant à ses semblables. À l’égard des associés, ils prennent collectivement le nom de peuple, et s’appellent en particulier citoyens, comme participant à l’autorité souveraine, et sujets, comme soumis aux lois de l’État. Mais ces termes se confondent souvent et se prennent l’un pour l’autre ; il suffit de les savoir distinguer quand ils sont employés dans toute leur précision.
     Jean-Jacques Rousseau “Du contrat social ou Principes du droit politique       1762


     5- HOBBES: Le Pacte d’association
     La cause finale, le but, le dessein, que poursuivirent les hommes, eux qui par nature aiment la liberté‚ et l'empire exercé‚ sur autrui, lorsqu'ils se sont imposé‚ des restrictions au sein desquelles on les voit vivre dans les Républiques, c'est le souci de pourvoir à leur propre préservation et de vivre plus heureusement par ce moyen: autrement dit, de s'arracher à ce misérable état de guerre qui est, je l'ai montre, la conséquence nécessaire des passions naturelles des hommes, quand il n'existe pas de pouvoir visible pour les tenir en respect, et de les lier, par la crainte des châtiments, tant à l'exécution de leurs conventionsqu'à l'observation des lois de nature.
La seule façon d'ériger un tel pouvoir commun, apte à défendre les gens de l'attaque des étrangers, et des torts qu'ils pourraient se faire les uns aux autres, et ainsi à les protéger de telle sorte que par leur industrie et par les productions de la terre, ils puissent se nourrir et vivre satisfaits, c'est de confier tout leur pouvoir et toute leur force a un seul homme, ou à une seule assemblée qui puisse réduire toutes leurs volontés, par la règle de la majorité‚ en une seule volonté‚. Cela revient à dire: désigner un homme, ou une assemblé‚ pour assumer leur personnalité‚ et que chacun s'avoue et se reconnaisse comme l'auteur de tout ce qu'aura fait ou fait faire, quant aux choses qui concernent la paix et la sécurité‚ commune, celui qui a ainsi assumé‚ leur personnalité, que chacun par conséquent soumette sa volonté‚ et son jugement à la volonté‚ et au jugement de cet homme ou de cette assemblée. Cela va plus loin que le consensus, ou concorde: il s'agit d'une unité réelle de tous en une seule et même personne, unité réalisée par une convention de chacun avec chacun passe de telle sorte que c'est comme si chacun disait à chacun: j'autorise cet homme ou cette assemblée, et je lui abandonne mon droit de me gouver-
ner moi-même, a cette condition que tu lui abandonnes ton droit et que tu autorises toutes ses actions de la même manière. Cela fait, ta multitude ainsi unie en une seule personne est appelée une REPUBLIQUE, en latin CIVITAS. Telle est la génération de ce grand LEVIATHAN, ou plutôt pour en parler avec plus de révérence, de ce dieu mortel, auquel nous devons, sous le Dieu immortel, notre paix et notre protection.
     T. Hobbes, Léviathan 1651






           

II- QUEL EST LE FONDEMENT DU LIEN SOCIAL?




            1- NIETZSCHE: Le plaisir partagé fondement de l’nstinct social


     Par ses rapports avec d’autres hommes, l’homme acquiert une nouvelle espèce de plaisir, qui s’ajoute aux sentiments de plaisir qu’il tire de lui-même ; par là il étend considérablement le domaine du plaisir en général. Peut-être bien des éléments qui rentrent dans ce genre lui sont-ils venus par héritage des animaux, lesquels éprouvent évidemment du plaisir quand ils jouent ensemble, par exemple là mère avec ses petits. D’autre part, qu’on réfléchisse aux rapports sexuels, qui font que toute femme presque paraît intéressante à tout homme en vue du plaisir, et réciproquement. Le sentiment de plaisir fondé sur les rapports humains fait en général l’homme meilleur ; la joie commune, le plaisir pris ensemble sont accrus ; ils donnent à l’individu de la sécurité, le rendent de meilleure humeur, dissolvent la méfiance, l’envie ; car on se sent mieux soi-même et l’on voit les autres se sentir mieux pareillement. Les manifestations de plaisir similaires éveillent l’image de la sympathie, le sentiment d’être des semblables : c’est ce que font aussi les souffrances communes, les mêmes orages, les mêmes dangers, les mêmes ennemis. C’est là-dessus sans doute que se fonde la plus ancienne association : elle a le sens d’une délivrance et d’une protection commune contre un déplaisir qui menace, au profit de chaque individu. Et de cette façon l’instinct social naît du plaisir.

     Friedrich Nietzche. Humain, trop humain 1878





     2-ARISTOTELe fondement de la société est l’amitié


     En toute communauté, on trouve, semble-t-il, quelque forme de justice et aussi d’amitié coextensive : aussi les hommes appellent-ils du nom d’amis leurs compagnons de navigation et leurs compagnons d’armes, ainsi que ceux qui leur sont associés dans les autres genres de communauté. Et l’étendue de leur association est la mesure de l’étendue de leur amitié, car elle détermine aussi l’étendue de leurs droits En outre, le proverbe ce que possèdent des amis est commun est bien exact, car c’est dans une mise en commun que consiste l’amitié (... )

Mais toutes les communautés ne sont, pour ainsi dire, que des fractions de la communauté politique. On se réunit, par exemple, pour voyager ensemble en vue de s’assurer quelque avantage déterminé, et de se procurer quelqu’une des choses nécessaires à la vie et c’est aussi en vue de l’avantage de ses membres pense-t-on généralement, que la communauté poli tique s’est constituée à l’origine et continue à se maintenir. Et cette utilité commune est le but visé par les législateurs, qui appellent juste ce qui est à l’avantage de tous (...)

Pour chaque forme de constitution on voit apparaître une amitié, laquelle est coextensive aussi aux rapports de justice. L’affection d’un roi pour ses sujets réside dans une supériorité de bienfaisance car un roi fait du bien à ses sujets si, étant lui-même bon, il prend soin d’eux en vue d’assurer leur prospérité, comme un berger le fait pour son troupeau. (...)

Par suite encore, tandis que dans les tyrannies l’amitié et la justice ne jouent qu’un faible rôle, dans les démocraties au contraire leur importance est extrême : car il y a beaucoup de choses communes là où les citoyens sont égaux.

     Aristote. Éthique à Nicomaque. (IVº s. av. J.-C.)






2-STUART -MILL: L’identification de l’intérêt propre avec l’intérêt d’autres


Une société d’être humains, à l’exception de la relation entre maître et esclave, n’est manifestement réalisable que si les intérêts de tous doivent être consultés. Une société entre des égaux ne peut exister que s’il est entendu que les intérêts de tous seront considérés de la même façon.(...)
Ils sont dans la nécessité de se concevoir du moins comme s’abstenant des plus graves préjudices (ne serait-ce que pour leur propre protection) et comme vivant dans un état de constante protestation contre de tels préjudices. Ils se familiarisent aussi avec le fait de coopérer avec les autres et de se proposer comme but de leurs actions un intérêt collectif et non un intérêt individuel. (...)
Non seulement tout renforcement des liens sociaux et toute croissance saine de la société donnent à chaque individu un intérêt personnel plus fort à tenir compte dans la pratique du bien-être d’autrui mais ils le conduisent aussi à concilier de plus en plus ses sentiments avec le bien d’autrui ou du moins à en tenir davantage compte dans la pratique. L’individu en vient, comme instinctivement, à se penser lui-même comme un être pour qui il va de soi de se soucier d’autrui. (...)
Le bien d’autrui devient une chose qui lui est attachée naturellement et nécessairement, comme l’une des conditions physiques de notre existence. Quelle que soit l’importance de ce sentiment chez lui, il est poussé à en faire la démonstration par les plus forts motifs de l’intérêt et de la sympathie et à faire tout ce qui est en son pouvoir pour l’encourager chez autrui. Même s’il ne possède pas ce sentiment, il est aussi grandement intéressé que toute autre personne par le fait que d’autres le possèdent. Par conséquent, les plus petits germes du sentiment sont recueillis et nourris par la contagion de la sympathie et par les influences de l’éducation, et, à l’appui, une toile entière d’associations se tisse par l’action puissante des sanctions extérieures.
John Stuart Mill  L’utilitarisme 1861






            III- QUELS SONT LES RAPPORTS ENTRE LA SOCIÉTÉ ET L’ÉTAT?


            1- LOCKE: Une société se constitue par délégation du pouvoir d’appliquer ses                                               propres règles


     En conséquence, toutes les fois que des hommes, en nombre quelconque, s’unissent en une même société, si bien que chacun renonce au pouvoir exécutif qu’il tient du droit naturel et le confie au public, il y a là, et là seulement, une société politique ou civile. Cela se produit toutes les fois que des hommes qui sont dans l’état de nature, en nombre quelconque, entrent en société, pour faire d’un même peuple un corps politique unique sous un seul gouvernement suprême  : ou toutes les fois qu’un individu se joint et s’incorpore à n’importe quel gouvernement déjà établi. Par là, il autorise la société dont il s’agit, ou son corps législatif, ce qui revient au même, à faire des lois pour son compte, selon que le bien public de la société l’exige, et à requérir son assistance pour les faire exécuter, comme autant de décrets dont il serait lui-même l’auteur. Les hommes passent ainsi de l’état de nature dans celui de la société politique, quand on institue, ici-bas, un juge compétent pour statuer sur tous les litiges et pour redresser les torts dont viendrait à souffrir un membre quelconque de la république  ; ce juge, c’est le législatif, ou les magistrats qu’il a nommés. Partout où il y a des hommes qui ne peuvent pas recourir à la décision d’un tel pouvoir, quel que soit leur nombre, quels que soient les liens qui les unissent, ils restent toujours dans l’état de nature.

            John Locke, Second traité de gouvernement civil (1690)







3- RAWLS: Le conflit entre liberté et égalité

     Il existe un profond désaccord sur la manière de réaliser le mieux possible les valeurs de la liberté et de l'égalité dans la structure de base de la société. Pour simplifier, disons que ce conflit, intérieur à la tradition de la pensée démocratique elle-même, est celui qui existe entre la tradition de Locke qui donne plus d'importance à ce que Benjamin Constant appelle  “la liberté des modernes”, c'est-à-dire la liberté de pensée et de conscience, certains droits de base de la personne et de propriété, et celle de Rousseau qui met l'accent sur la “liberté des anciens”, c'est-à-dire l'égalité des libertés politiques et les valeurs de la vie publique. Ce contraste est, bien entendu, grossier et historiquement inexact, mais il peut servir à fixer les idées.

La théorie de la justice comme équité essaie d'arbitrer entre ces traditions concurrentes, tout d'abord en proposant deux principes de justice pour servir de guides dans la réalisation par les institutions de base des valeurs de la liberté et de l'égalité, et ensuite en définissant un point de vue d'après lequel ces principes apparaissent plus appropriés que d'autres à la nature des citoyens d'une démocratie, si on les considère comme des personnes libres et égales(...) Une certaine organisation de la structure de base, certaines formes institutionnelles sont mieux faites pour réaliser les valeurs de la liberté et de l'égalité quand les citoyens sont considérés comme des personnes libres et égales,  c'est-à-dire comme doués d'une personnalité morale qui leur permet de participer à une société envisagée comme un système de coopération équitable en vue de l'avantage mutuel. Ces deux principes de justice s'énoncent donc de la façon suivante :

1. Chaque personne a un droit égal à un système pleinement adéquat de libertés et de droits de base égaux pour tous, compatible avec un même système pour tous.

2. Les inégalités sociales et économiques doivent remplir deux conditions : en premier lieu, elles doivent être attachées à des fonctions et à des positions ouvertes à tous dans des conditions de juste (fair) égalité des chances; et, en second lieu, elles doivent être au plus grand avantage des membres les plus défavorisés de la société .

            John Rawls “La Théorie de la justice comme équité”   1971



            4- TOCQUEVILLE: “Quelle espèce de despotisme les nations démocratiques ont à                                            craindre”


     Je veux imaginer sous quels traits nouveaux le despotisme pourrait se produire dans le monde: je vois une foule innombrable d'hommes semblables et égaux qui tournent sans repos sur eux-mêmes pour se procurer de petits et vulgaires plaisirs, dont ils emplissent leur âme. Chacun d'eux, retiré à l'écart, est comme étranger à la destinée de tous les autres: ses enfants et ses amis particuliers forment pour lui toute l'espèce humaine; quant au demeurant de ses concitoyens, il est à côté d'eux, mais il ne les voit pas; il les touche et ne les sent point; il n'existe qu'en lui-même et pour lui seul, et s'il lui reste encore une famille, on peut dire du moins qu'il n'a plus de patrie.
Au-dessus de ceux-la s'élève un pouvoir immense et tutélaire, qui se charge seul d'assurer leur jouissance et de veiller sur leur sort. Il est absolu, détaillé, régulier, prévoyant et doux. Il ressemblerait à la puissance paternelle si, comme elle, il avait pour objet de préparer les hommes à l'âge viril; mais il ne cherche, au contraire, qu'à les fixer irrévocablement dans l'enfance; il aime que les citoyens se réjouissent, pourvu qu'ils ne songent qu'à se réjouir. Il travaille volontiers à leur bonheur; mais il veut en être l'unique agent et le seul arbitre; il pourvoit à leur sécurité, prévoit et assure leurs besoins, facilite leurs plaisirs, conduit leurs principales affaires, dirige leur industrie, règle leurs successions, divise leurs héritages; que ne peut-il leur ôter entièrement le trouble de penser et la peine de vivre?
C'est ainsi que tous les jours il rend moins utile et plus rare l'emploi du libre arbitre; qu'il renferme l'action de la volonté dans un plus petit espace, et dérobe peu a peu chaque citoyen jusqu'à l'usage de lui-même. (...)
Après avoir pris ainsi tour à tour dans ses puissantes mains chaque individu, et l'avoir pétri à sa guise, le souverain étend ses bras sur la société tout entière; il en couvre la surface d'un réseau de petites règles compliquées, minutieuses et uniformes, à travers lesquelles les esprits les plus originaux et les âmes les plus vigoureuses ne sauraient se faire jour pour dépasser la foule; il ne brise pas les volontés, mais il les amollit, les plie et les dirige; il force rarement d'agir, mais il s'oppose sans cesse à ce qu'on agisse; il ne détruit point, il empêche de naître; il ne tyrannise point, il gêne, il comprime, il énerve, il éteint, il hébète, et il réduit enfin chaque nation a n'être plus qu'un troupeau d'animaux timides et industrieux, dont le gouvernement est le berger.

            Alexis de Tocqueville “De la démocracie en Amérique” 1840

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